PROFIL. Sa corpulence et sa nonchalance apparentes n’ont d’égales que sa ténacité tantôt ouverte, tantôt assaisonnée à l’air du temps.
Le mini-remaniement ministériel, annoncé le lundi 4 janvier 2010, est inversement proportionnel à sa dimension numérique. La raison en est qu’il a réservé bien des surprises, tant au niveau du choix des personnes que dans le rapport à la fonction. Ce qui a le plus focalisé l’attention des médias et du grand public, ce sont les changements des dépositaires des départements de l’Intérieur et de la Justice. Mais au delà, il y a une autre nomination qui n’a pas été moins surprenante, ni même moins spectaculaire. Il s’agit de Driss Lachgar, nouvellement chargé des Relations avec le Parlement. Cette désignation a fait sensation, à plus d’un titre. Le microcosme, volontiers relayé par la presse, n’avait d’yeux que pour le nouveau promu. Une surcharge d’intérêts qui interroge.
Le lendemain de sa désignation, Monsieur le ministre, tout frais émoulu, tenait déjà son rang à la Chambre des Représentants pour la séance hebdomadaire des questions au gouvernement. Le régisseur de la retransmission télévisée l’a bien cadré à plusieurs reprises. Normal, il était la curiosité du moment.
À l’évidence, Driss Lachgar n’était pas vraiment à l’aise dans son nouvel habit ministériel, à moins qu’il se soit forcé à cacher son bonheur. Et pourtant, M. Lachgar n’a aucune raison d’être impressionné par un hémicycle qu’il connaît suffisamment pour y avoir séjourné pendant trois législatures d’affilée entre 1993 et 2007. Il y a même été président du groupe socialiste, une tâche qu’il a remplie avec beaucoup de maîtrise et un certain panache. Il a su trouver les mots et les postures de circonstance pour faire avaler aux troupes socialistes le passage difficilement négociable entre la primature de Abderrahmane Youssoufi et celle de Driss Jettou. C’était sa transition à lui. Un succès qui lui a valu son accession au Bureau politique de l’USFP.
Des qualités qui ne courent pas les allées
Avec ou sans sa chefferie de groupe, il est incontestable que Driss Lachgar a été un bon député, actif, entreprenant et animé d’un courage politique sans faille. Des qualités qui ne courent pas les allées de nos institutions électives. A preuve, la commission parlementaire d’enquête entre juillet 2000 et janvier 2001 sur la gestion du CIH, dont il a été l’initiateur et l’animateur. Un immense scandale nous a été subitement renvoyé à la figure. Pour un coup d’essai inédit, c’était un coup de maître. Malgré les réticences de Abdelouahed Radi, alors président de la première chambre.
Ironie du sort, comme seule la vie politique en a le secret, c’est ce même Abdelouahed Radi qui l’aurait proposé au poste de ministre chargé des Relations avec le Parlement. Entre ces deux dates, beaucoup d’eau a coulé sous le pont incertain de l’USFP. Tumulte et luttes intestines, parfois implacables. Driss Lachgar y était en plein dedans. C’est aux législatives de 2007 que tout a basculé. Les résultats de ce scrutin national n’ont pas été à la hauteur des espérances des franges militantes de l’USFP. Loin s’en faut. Le candidat Driss Lachgar a été lui même recalé, au même titre, d’ailleurs, que quelques ténors du parti socialiste.
Driss Lachgar a été au fronton d’une fronde des sections de base demandant le retrait de l’USFP du gouvernement de Abbas El Fassi. Une position politique qu’il a assumée avec conviction et force crédibilité. Il était le porte-drapeau d’un courant difficilement mesurable qui ne voyait d’avenir politique pour l’USFP qu’un retour à l’opposition. L’objectif non déclaré, mais facilement soupçonnable, étant la séparation de corps avec l’Istiqlal, le rapprochement avec la nébuleuse de gauche, voire même une certaine accointance avec le courant islamiste du PJD.
La finalité, car il en faut bien une, n’est autre que la recomposition de l’échiquier politique national. Pour donner une cohérence à son approche globale, Driss Lachgar demandait également un amendement de la Constitution instituant une séparation effective des pouvoirs et renforçant le rôle du Premier ministre en tant que chef de l’Exécutif. C’est dire que Driss Lachgar était porteur d’un projet global et total de refondation de l’USFP et de contribution à la germination d’une rénovation de la vie politique du pays.
Ce natif de Rabat, en 1954, juriste de formation et avocat de profession, a assumé ce rôle de première ligne le verbe haut et l’attitude altière, sur les plateaux de télévision.
Son propos était conforme à l’idée qu’il s’est toujours faite, depuis 1970, d’un parti socialiste à l’avant garde d’une révolution démocratique dans une continuité monarchique. Aujourd’hui, une question plane sur son parcours. Driss Lachgar a-t-il finalement cédé aux sirènes et aux lustres irrésistibles de l’apparat officiel et de ce qui va avec? Répondre par l’affirmative serait aller vite en besogne, sinon, au pire, lancer à son encontre un anathème politicien. On a pu dire qu’il s’était extrémisé, après les législatives de 2007, pour la seule et unique raison qu’il n’a pas été ministrabilisé.
Un ressentiment irrépressible qui l’aurait poussé à être le tombeur de Mohamed Elyazghi, ancien secrétaire général démissionnaire en catastrophe. Malgré toutes les apparences à charge, ce procès a des allures de faux et d’usage de faux.
La vérité est ailleurs. Une chose est sûre, la navette entre un Driss Lachgar incorporé au gouvernement de Abbas El Fassi et Abdelouahed Radi libéré de ses fonctions officielles pour ne se consacrer qu’au parti, est une trouvaille judicieuse; un message de “raison garder” aux maximalistes de l’USFP.