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«La stabilité du Maroc n’est certainement pas due au gouvernement Benkirane»

Le Matin : Que pensez-vous du bilan d’étape présenté récemment par le Chef du gouvernement ?
Driss Lachgar : Je dois rappeler d’abord que la présentation du bilan d’étape est une tradition qui a démarré avec le gouvernement d’Abderrahmane El Youssoufi. Depuis, la présentation du bilan d’étape a constitué un moment phare du calendrier politique. Mais lors de la présentation du bilan de Abdelilah Benkirane 50% seulement des membres du Parlement étaient présents ! C’est le signe d’un manque d’intérêt des parlementaires, sachant bien sûr que cela n’excuse pas leur absentéisme. Le manque d’intérêt était visible aussi du côté de l’opinion publique. Cette dernière désapprouve le comportement du Chef du gouvernement qui prend cet exercice politique pour un one man show.

Qu’en est-il, selon vous, du contenu de ce bilan d’étape ?
Le but de cet exercice, en plus de permettre au Chef du gouvernement de présenter et de défendre son bilan d’étape, est d’initier un débat avec les députés et d'éclairer l’opinion publique sur le travail du gouvernement. En assistant à cette séance, je me suis interrogé : s’agit-il du bilan du gouvernement, du bilan de Abdelilah Benkirane, du bilan de son parti ou du chef de la majorité ? En effet, les secrétaires généraux des partis de la majorité n’applaudissaient pas les propos du Chef du gouvernement. Il en a été de même pour les parlementaires de la majorité (en dehors des parlementaires du PJD). Ainsi, il y avait deux oppositions dans le Parlement : l’opposition de ceux qui ne font pas partie de la majorité gouvernementale et l’opposition des partis de la majorité.
L’absence flagrante de cohésion de la majorité ressort clairement de la présentation du bilan d’étape de M. Benkirane. Ce dernier n’a pas hésité à tirer à boulets rouges sur son prédécesseur, oubliant au passage que trois partis composant l’actuelle majorité faisaient partie des gouvernements précédents qu’il critique. M. Benkirane a commencé son intervention par une introduction improvisée qui, comme à son habitude, a consisté en un chantage, pas du tout déguisé, aux institutions de la nation. Il s’est en effet présenté comme le sauveur de notre pays, sans lequel le pays irait à la dérive.

La scène partisane n’est pas au mieux de sa forme ces derniers temps ? Quel rôle peut jouer un parti comme l’USFP dans la réhabilitation de la politique ?
Certains comportements du Chef du gouvernement et le manque d’ambition et de projet nuisent au développement de notre pays. Nous avions milité pour obtenir les droits politiques aujourd’hui inscrits dans la Constitution et nous constatons avec amertume la médiocrité de la mise en exécution de plusieurs chantiers législatifs que nous considérions comme acquis avec la Constitution de 2011. Depuis toujours, pendant l’expérience de l’alternance et même durant les années de plomb, notre parti, avec ses alliés, a réussi à établir un dialogue avec le pouvoir et a accepté de faire les concessions (qui semblaient) nécessaires pour faire avancer notre pays dans la bonne direction. La stabilité relative du Maroc est le fruit de ces années de consensus. Elle n’est certainement pas due à l’arrivée de Abdelilah Benkirane à la tête du gouvernement.

Quelle appréciation portez-vous sur l’ambiance générale dans laquelle sont lancés les préparatifs pour les prochaines échéances électorales ?
Avec la Constitution de 2011, nous avions organisé des élections législatives anticipées après avoir sorti les textes nécessaires de mise en adéquation avec la nouvelle Constitution. Nous pensions que cet effort serait poursuivi par le gouvernement. Or il a fallu attendre que notre groupe parlementaire pose la question dans le cadre des questions mensuelles de la politique générale pour que le Chef du gouvernement se réveille enfin. Non pas pour réfléchir aux textes qui vont régir les élections communales et faire évoluer notre organisation territoriale, mais uniquement pour savoir si ce sera à lui, à son gouvernement, à son ministre de l’Intérieur ou à son parti de superviser les élections. Au moment où nous avions posé la question des élections, à une année de l’échéance électorale, aucun texte devant encadrer ces élections n’avait été encore proposé et aucune concertation n’avait été lancée. En conséquence de notre interpellation du Chef du gouvernement, les directions des différentes formations politiques se sont réunies et ont publié des communiqués à ce sujet, y compris le secrétariat général du PJD. Concrètement, concernant la prochaine échéance électorale, l’USFP s’opposera à toute action du gouvernement visant à porter atteinte à la crédibilité de ces élections.

Vous aviez appelé, avec votre allié l’Istiqlal, à la mise en place d’une commission indépendante chargée de superviser les élections. Comment ont réagi les autres partis ?
Il est légitime de lancer cet appel quand le Chef de la majorité lui-même dit avoir des doutes sur ces élections, alors qu’il doit être le garant de leur bon déroulement. Paradoxalement, on n’entend pas le même son de cloche de la part des autres partis de la majorité. Face à cette cacophonie gouvernementale, l’opposition est en droit de s’interroger sur la capacité de ce gouvernement à superviser les élections. C’est pourquoi nous avons estimé, avec nos alliés au Parti de l’Istiqlal, qu’il fallait trouver une alternative, à savoir, une commission indépendante chargée de superviser les élections. Dans ce cadre, nos groupes parlementaires ont déposé une proposition de loi commune pour la création de cette commission. Vous l’avez constaté, juste après la publication de notre communiqué à ce sujet, nous avons été invités pour prendre part aux concertations qui ont ainsi démarré avec les autres formations politiques. À ce sujet, nous avons attiré l’attention sur le fait qu’il serait impossible de poursuivre les concertations dans le cadre de réunions auxquelles participent 35 partis à la fois. Un tel cadre rend impossible l’avancement des discussions. C’est pourquoi nous avons demandé l'adoption d'une nouvelle démarche pour ces concertations. Le ministre de l’Intérieur et son ministre délégué ont réagi favorablement à notre proposition. Nous avons estimé que chaque parti a ses propositions et ses convictions et qu’il devra d’abord les présenter et en discuter séparément. En fait, j’étais prêt à boycotter ces concertations si elles devaient continuer de la même manière.

Quel a été le contenu de la première rencontre que vous avez eu avec le ministère de l’Intérieur ?
Nous avons constaté qu’il était à l’écoute. Il y a globalement une réaction positive par rapport aux nouvelles propositions que nous avons soumises. C’était le cas, par exemple, concernant la nécessité de trouver des mécanismes pour faire face à cette balkanisation du champ politique marocain. Nos propositions ont porté également sur le jour calendaire de la tenue du scrutin. Il faut trouver un autre jour que le vendredi (début du weekend), peut être en milieu de la semaine, pour garantir la présence des citoyens dans leur lieu de résidence ou de travail et donc leur proximité des bureaux de vote. Nous souhaitons également introduire l’obligation de vote.

Vous êtes donc pour l’obligation de vote ?
Oui. Je défends l’obligation de vote tout en prévoyant des sanctions contre les «contrevenants». Car cette obligation existe dans notre Code électoral, mais elle n’est pas assortie de sanctions. Donc, pour appliquer cette disposition, nous appelons à prévoir des sanctions. Ceci est appliqué dans certaines démocraties occidentales.

Mais ne pensez-vous pas qu'il serait difficile d’appliquer des sanctions ?
Non. Il faut concevoir un système similaire aux infractions au Code de la route. Si vous grillez un feu rouge, vous allez recevoir une amende. En se référant à la liste électorale, on pourrait signaler ceux qui n’ont pas voté et les condamner à verser une amende de 500 DH par exemple. C’est le seul moyen pour mettre fin à l’abstention et un moyen de limiter la corruption électorale. Tous les citoyens se rendraient alors aux urnes, et pas seulement ceux qui sont engagés dans l’action politique ou ceux qui sont exploités à travers la corruption électorale.

En ce qui concerne le mode de scrutin, que proposez-vous ?
Pour le mode de scrutin, nous attendons les propositions du gouvernement dans le cadre des discussions en cours.

La question se pose parce que des militants du Parti de l’Istiqlal, votre allié d’aujourd’hui, marquent une préférence pour le mode de scrutin uninominal ?
C’est la même proposition que je défends personnellement au sein de l’USFP depuis 2007. Il faut consulter à ce titre le mémorandum que j’avais présenté en 2007 dans le cadre des travaux internes du parti.

Vous aviez appelé au scrutin uninominal, mais à deux tours!
Exact, je suis pour le mode de scrutin uninominal à deux tours. À mon sens, c’est le système uninominal qui va permettre de bien encadrer politiquement les citoyens. Chaque parti a un candidat par circonscription, ce qui permet de concentrer les efforts et assure une meilleure proximité entre l’élu et le parti, d’une part, et les citoyens, d’autre part. C’est un mode que nous pourrions appliquer d’abord aux communales, avant de le transposer aux législatives. De cette façon, même les structures partisanes auront le temps de s’organiser dans la perspective des législatives.

Quelle lecture faites-vous de la première ébauche de la loi organique relative à la régionalisation, préparée par le ministère de l’Intérieur ?
Cet «avant-projet» est cohérent avec les travaux de la Commission consultative sur la régionalisation (CCR) et les échanges qu’elle a eus avec les partis politiques. Mais le département de l’Intérieur a omis le fait que, depuis la fin des travaux de la CCR, un événement majeur est venu reconfigurer le paysage politique au Maroc.
La Constitution de 2011 a apporté des dispositions fortes en ce qui concerne la régionalisation, dispositions qui n’ont pas été prises en compte dans l’avant-projet de l’Intérieur. Au sein de l’USFP, nous élaborons une réponse politique à cet avant-projet. Nos commissions internes y travaillent. Nous estimons que la régionalisation voulue dans la Constitution n’est pas intégrée dans l’ébauche proposée par l’Intérieur. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que nous proposons l’autonomie aux provinces du Sud. Dans ce contexte, il faut être conscient qu’un tel projet sera sous les projecteurs au niveau international. Il faut donc rehausser notre conception de la régionalisation, car le niveau des attentes est élevé au regard des discours royaux, d’une part, et de la Constitution de 2011, d’autre part. Nous nous attendons à ce que les concertations en cours entre l’Intérieur et les différentes formations politiques représentées au Parlement intègrent ces dispositions dans le projet de loi organique sur la régionalisation.

Et pour votre formation, comment se déroulent les préparatifs pour les prochaines consultations électorales ?
Les préparatifs pour ces échéances se font à travers des actions de reconstruction du parti. Déjà lors du neuvième congrès de l’USFP en 2012, nous avions admis que pour reprendre l’initiative au sein de la société, il faut, nécessairement, passer par un effort de reconstruction des structures du parti. Contrairement à ce que prétendent certains médias, notre parti n’est pas en crise, il est plutôt en reconstruction. Pour reprendre l’initiative, il faut faire face aux problèmes et non pas les laisser s’aggraver. Il y avait des difficultés au sein de la Chabiba Ittihadia, que nous avons surmontées grâce à l’organisation d’un congrès (lequel aurait dû se tenir il y a 4 ans déjà). Par ailleurs, plusieurs structures locales étaient en léthargie – certaines ne réunissaient plus leurs instances depuis des années… On sera prêt à faire face aux prochaines échéances électorales. L’USFP redeviendra un élément incontournable dans l’équation politique.

S’agissant de votre alliance avec le parti de l’Istiqlal, quelles en sont ses perspectives ?
Nous comptons rester solidaires pour les législatives de 2016. Nous allons donc soit être ensemble dans le prochain gouvernement, soit tous les deux dans l’opposition.

Est-ce que l’on peut s’attendre à des candidatures communes ?
Si le mode de scrutin retenu d’ici là est de nature à nous renforcer dans ce sens, on le fera.

Un an nous sépare de la date annoncée pour la tenue des prochaines échéances. Pensez-vous que ce délai est suffisant pour les préparer ?
Non, ce n’est pas assez. Je rappelle à ce sujet que le Chef du gouvernement avait, lors de sa déclaration d’investiture, promis que le premier chantier à ouvrir serait celui de la préparation des élections. Aujourd’hui, alors que plus de la moitié de son mandat est épuisée, nous entamons à peine la phase de discussion.

Publié le : 3 août 2014 - Entretien réalisé par Brahim Mokhliss, LE MATIN -

Le Matin: Entretien avec Driss Lachgar, premier secrétaire de l’Union socialiste des forces populaires
Tag(s) : #Actualités
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